don't burry me - with kean

Une fille, un bar, de l’alcool, trop d’alcool, une haleine de chacal, une robe qui se calquait parfaitement sur ses courbes, voilà ce qu’il restait de Savannah ce soir. Le visage dans le vide, le regard embrumé, elle avait besoin de prendre l’air. Il fallait qu’elle sorte d’ici, sa tête allait exploser. Elle devait partir, le plus vite possible, elle devait faire de son mieux pour ne surtout pas remettre les pieds là-dedans, mais la tentation était forte, trop forte, si elle retournait là-dedans, elle ne savait pas dans quel état elle allait finir la nuit. Allait-elle seulement la finir cette nuit ? Elle était paumée, une gamine paumée dans un monde de grands, un monde duquel elle ne tirait nullement les ficelles, elle se contentait de suivre et de se laisser guider par des gens qui ne lui voulaient pas que du bien. Elle cramait son argent à grands renforts de tequilas et de vodkas, trop fortes pour elle.
Sortir, aller prendre l’air le long du lac, se promener, marcher, laisser le vent froid la rafraichir, laisser l’air glacial rentrer dans ses narines et parcourir la totalité de son corps. Voilà de quoi elle avait besoin. Sa veste, si on pouvait appeler ça comme ça, ne l’aidait pas à se tenir au chaud, elle tremblait de tous ses membres, elle était frigorifiée, mais avec un peu de chance, elle s’habituerait à la température ambiante ?

Enfin sortie de ce bar, Savannah erre dans les rues de la ville, cherchant le trajet jusqu’au lac. Il y a non loin de là un parc, elle sait que ce n’est pas une bonne idée de se rendre dans un parc à cette heure avancée de la journée, de la nuit plutôt, mais elle s’en fout, elle ne réfléchit plus, elle se laisse guider par le claquement de ses talons sur le béton des rues.
Elle enchaine les conneries, elle le sait, mais elle a besoin de prendre l’air, elle n’en démord pas. Alors elle avance, encore et encore, jusqu’à arriver dans le parc. Elle devait avoir marché au moins cinq cents mètres, ses pieds la faisaient souffrir, mais elle s’en fichait. Après tout, qui avait besoin de pieds dans la vie ? Elle continuait, jusqu’à trouver… Oui, elle y était. Un banc. Elle avait besoin de s’asseoir. Tremblotant de tous ses membres, la belle trouva place sur le banc et pris sa tête entre ses mains. Pourquoi avoir bu ce soir ? Avait-elle besoin de ça pour s’éclater ? Non, même comme ça, elle avait la sensation que quelque chose manquait. Elle s’amusait sans s’amuser, c’était décevant.
Elle soupire, avant d’entendre quelque chose bouger derrière elle.

Qui est là ? Il y a quelqu’un ?

La ville est plongée dans le noir depuis des heures déjà, et si elle se retrouvait comme toutes ces nanas débiles dans les films d’horreur qui finissent par se faire assassiner dans un bain de sang ?

Faire la tournée des bars était une habitude pour Kean.
Il aimait se rendre dans différents lieux, boire de l’alcool, disparaître et rejoindre un autre bar ; comme s’il voulait absolument tester chaque whisky de la ville. Un petit sourire accompagnait toujours ses soirées, parce qu’il semblait toujours être fier de lui, de son attitude destructrice, de ce besoin de se mettre la tête à l’envers, quoiqu’il en coûte.
Il avait déjà eu droit à un coma éthylique, mais la leçon n’a pas été retenue. Il continuait encore et encore, courant tout droit jusqu’à une mort certaine. Et pourtant, même la perspective de disparaître définitivement ne lui donnait pas l’envie de freiner sa course folle.

Un énième bar et le voilà qui erre dans les rues de la ville, un joint coincé entre les lèvres alors qu’il referme sa veste. Les rues sont quasiment désertes. Cela lui change radicalement de sa vie New Yorkaise. Il y a toujours quelqu’un dehors, prêt à faire la fête, prêt à faire des conneries. Mais ici, la vie semble s’arrêtée une fois la nuit tombée. Il trouvait cela dommage. Il y avait tant à faire…
Haussement d’épaules face à cette prise de conscience soudaine. Au fond, il n’a besoin de personne pour faire la fête ou le con. C’était une seconde nature chez lui et il trouvait toujours un moyen de s’amuser pleinement.

Kean s’engouffre dans un parc, cela va plus vite lorsqu’il passe dans ce coin. Il n’a pas envie de faire des détours toute la nuit, même si ça ne le dérangerait pas outre mesure, finalement. Il avance tranquillement lorsqu’une voix l’interpelle. L’intonation de cette voix révèle une sorte de trouille, ce qu’il peut comprendre. Ce n’est clairement pas rassurant d’être seule dans un parc en pleine nuit.
« Y a quelqu’un. » Répondit-il dans un petit rire. Ouais il se trouve drôle, et alors ? Il faut bien un peu d’humour dans ce monde ! D’autant qu’il n’est vraiment pas le type le plus drôle du monde – mais une fois bien alcoolisé, quelques miracles se produisent. « Ça va détends toi, j’suis pas un tueur en série. » Il marque une petite pause, avant de reprendre, sur un air détendu. « Enfin en même temps, c’est exactement ce qu’un tueur dirait. » Il ricane de sa connerie et avance de quelques pas, apparaissant devant la demoiselle.

Il ne va certainement pas la faire paniquer pendant des heures – même si ce serait plutôt amusant. Mais il n’est pas du genre à faire un truc pareil ; il connaît d’autres techniques pour faire chier le monde. « J’déconne, va. J’m’appelle Kean, sois cool. » Ce n’est pas le grand méchant loup – enfin… il ne tue personne, au moins. Pour le reste, il n’en reste pas moins un sale con, mais inutile de le dire.
Il tire une latte sur son joint et l’observe, malgré la pénombre. « Si tu flippe d’être là… Pourquoi t’es là ? » Ouais, question à trois mille dollars.

Pourquoi elle était sortie, pourquoi elle se retrouvait dans un parc en plein milieu de la nuit, après avoir bu beaucoup plus qu’elle n’aurait dû. Savannah était un petit oisillon fragile dans cette jungle, elle ne connaissait rien du monde de la nuit, elle ne sortait jamais et commençait seulement à s’y mettre, comme une gamine de dix-huit ans qui découvre les premières affres de l’alcool. Sauf qu’elle n’avait pas dix-huit ans, mais c’était une gamine oui, elle assumait pleinement ça.
Perdue dans ce parc, ou plutôt non, pas complètement perdue, elle savait que la boite dans laquelle elle s’amusait avant n’était qu’à quelques pas de là, ou bien avait-elle marché plus longtemps qu’elle ne l’imaginait ? Maintenant elle se sentait perdue, et quand elle entendit du bruit, elle tourna son regard autour d’elle, et puis tourna encore jusqu’à se donner la nausée, et finalement une voix lui répondit. Un homme, jeune, elle n’apercevait qu’une silhouette tapie dans l’ombre pour le moment, pour lui répondre qu’il y avait quelqu’un. Dans un film, elle serait probablement déjà morte, ou allongée sur le sol en train de se faire violer. Mais valait mieux éviter d’imaginer le pire.
Il fait de l’humour, elle trouve pas ça drôle, parce qu’elle sait qu’il a raison, c’est exactement les paroles qui seraient prononcées par un tueur en série.

C’est pas marrant. Putain j’ai eu peur.

Il se présente, il s’appelle Kean, il veut qu’elle soit cool, mais elle est pas cool Savannah. Elle se demande encore ce qu’elle fout là. L’alcool est toujours bien présent, il lui fait tourner la tête, elle sait qu’elle prend des risques inconsidérés, que si tout ça remonte aux oreilles de ses parents, elle est morte, mais en même temps elle s’en fout complètement. Ses parents, c’est le cadet de ses soucis après tout.

Moi c’est Savannah.

Pourquoi elle se présente à ce type alors qu’elle ne le connait pas et qu’il a un air louche tatoué sur son visage ? Elle n’en sait rien, mais finalement il a l’air cool. Un peu étrange mais cool. Et puis pourquoi il traine ici à cette heure de la nuit ? Trop tard, il lui pose la question le premier, et elle cherche ses mots pour lui répondre.

Jsais pas… J’étais dans un bar, jvoulais prendre l’air et j’ai atterri ici. Jsais pas trop pourquoi ni comment en fait.

Elle savait rien du tout la gamine, elle se retrouvait perdue, c’était le mot qui désignait le mieux sa condition actuelle. Repensant à sa soirée, où finalement elle s’était emmerdée plus qu’elle ne l’aurait imaginé, elle haussa les épaules, puis déclara :

J’avais envie d’un truc différent.

Il ne pouvait pas savoir de quoi elle parlait puisqu’ils ne se connaissaient pas du tout, mais c’était pas grave, de toute façon elle l’avait dit plus pour elle que pour lui. Lui il était toujours dans la pénombre, il était là sans être là, et les effluves qui parvenaient de ce qu’il fumait indiquèrent à Savie que c’était pas du tabac. Encore un truc qu’elle avait jamais fait dans sa vie.
 

Il n’est pas drôle.
C’est un fait non discutable. Kean n’a jamais été le mec le plus amusant du monde et n’a jamais prétendu l’être, d’ailleurs. Être le petit clown de service, ce n’est pas fait pour lui. Il a toujours été le connard du coin, le cliché du mec populaire dans les lycées qui se la raconte et qui semble avoir le monde à ses pieds. Et c’est vrai qu’ils étaient tous à tourner autour de lui, tout le temps. Ils étaient chiants, étouffants. Il se plaisait à les envoyer chier, parce qu’il ne voulait pas d’une petite cour à sa suite ; il se sentait bien en étant tout seul ou en comité très réduit.
Alors plutôt qu’être le mec drôle du coin, il était le mec populaire et arrogant. Une version qu’il préférait très largement.

« Bah c’était l’but. » Répondit-il le plus naturellement du monde. Il ne voulait pas être marrant, il voulait qu’elle flippe un petit peu et visiblement, ça avait fonctionné. Sympathique dans l’âme – et sans doute parce qu’il fumait un peu de weed -, il n’avait pas fait durer le suspense, ne voulant pas qu’elle tape une crise de panique dans le parc. Manquerait plus qu’elle se mette à hurler, que des gens l’entendent et on s’imaginerait vite que c’est un putain de prédateur alors que pas du tout.
Elle se présente à lui. Il esquisse un sourire en approchant de quelques pas. « OK Sav’. J’peux t’appeler Sav, hein ? T’emmerde pas à répondre, c’t’une question rhétorique. » Il eut un nouveau rire en tirant une latte de son joint. Ouais, il appelé les gens comme il le souhaite, pas besoin d’autorisation pour ça. Puis là il est détendu, faut en profiter.

Il lui demande ce qu’elle fout dans le coin vu qu’elle ne semblait pas trop être rassuré. Il écoute sa réponse en penchant la tête sur le côté, attentif malgré tout. « Ah ouais… T’es bizarre en fait. » Non parce qu’il ne comprend pas trop le délire d’être dans un bar et ensuite rejoindre un parc… tout en cherchant à vivre un truc différent. À moins que son délire soit la nature, chacun son truc dans la vie, il ne juge pas ; mais c’est pas folichon comme ambiance. Il combe le peu de distance qu’il reste entre eux, afin qu’ils puissent mieux se voir – ce qui est déjà compliqué dans la pénombre, alors avec une distance supplémentaire, c’est comme voir des ombres. « T’entends quoi par ‘truc différent’ ? » Ça l’intrigue les gens qui cherchent à faire des choses différentes, qui veulent sortir de leur zone de confort. Parce que c’est important ; parce que lui, il le fait tout le temps. Il se donne à trois mille pour cent dans cette vie, la consume par les deux bouts, sachant qu’elle est courte et que la sienne le sera encore plus.