❊ topic commun - tempête sur brooklyn

La fainéantise était ma hantise et pourtant je ne cessais de fraterniser avec elle ce soir. J’étais censé me rendre à une soirée plutôt importante, or je n’étais toujours pas habillé ni même coiffé. Mon chien me jugeait d’où il se trouvait, mais j’ignorai rapidement son regard. C’était peut-être une bête, mais ses yeux avaient le don pour être très expressifs. Dans un soupir, je vins m’enfermer dans la salle de bain pour me préparer, histoire qu’on me fiche la paix. Prêt comme un parfait homme à la recherche d’une cavalière fantôme, je quittai mon appartement pour rejoindre cette grande soirée qui avait fait trembler la presse locale.

Posé à ma table, j’étouffai un bâillement contre ma gauche et fis balader mon regard sur toute cette foule. Je devais sûrement connaître une personne, mais les visages –à cause de leur nombre- se brouillaient et ma concentration semblait vouloir démissionner. Je trempai mes lèvres dans un verre et consultai rapidement l’heure qu’affichait mon téléphone. Si je ne bougeais pas rapidement, j’allais prendre racine. Le vent mugissait tranquillement dehors et je m’apprêtais à me lever quand la lumière quitta la pièce. Je fronçai les sourcils et regardai un peu partout autour de moi pour savoir s’il s’agissait d’une blague. Mais les murmures des conversations me firent comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une modeste plaisanterie. Les plombs avaient sauté, joie et bonne humeur.

Je prononçais quelques insultes en français, il ne manquait plus que ça pour égayer ma soirée. « Questions de secondes, j’en suis pas si sûr. » glissai-je à moi-même, trop inquiet pour reconnaître la voix de Savannah, celle qui me donnait d’agréables cours de savoir vivre. Mon attention vacilla vers un jeune homme inquiet. Les claustrophobes et autres agoraphobes devaient sûrement être sur le point de mourir d’une crise cardiaque. Quant à moi, j’étais seulement quelque peu angoissé à l’idée qu’on puisse me faire les poches dans l’obscurité. Quoi ? Le monde n’était pas rempli de petits anges, mais plutôt de petits démons heureux de semer le trouble. « Bon, quelqu’un a une idée de comment passer le temps ? »

Un verre dans les mains, tu apprécies la conversation que tu entretiens avec quelques personnes de ton rang. Tu ne sais pas trop ce que tu fais dans cette pièce, mais ta secrétaire t'a assuré qu'il fallait y être pour bien te faire voir. Tu as donc opté pour une tenue élégante, mais simple pour l'occasion. Tu n'es pas idiote, tu sais qu'il y a des journalistes planqués un peu partout. Tu échanges donc des banalités en te disant que la soirée n'est pas si mal et que peut-être tu y trouveras une perle rare pour t'amuser. Voilà quelque chose que les articles cachent sur toi. Tu es pire que la plus dangereuse des vipères. Une enfance et une adolescence à jouer la victime pour les autres, tu les as laissé faire en contemplant ta vengeance. Tu n'épargnes personne, pour toi, tout le monde est coupable et mérite tes foudres.

On vient complimenter ta tenue et tu remercies la personne d'un simple sourire avant que la lumière ne te fasse défaut. Tu fronces les sourcils et tu tournes la tête vers le bar. "Encore des incompétents qui ne savent pas s'occuper de l’électricité." craches-tu dans ton verre. Un garçon se plaint au bar et tu lèves les yeux au ciel. "Si tu pouvais nous épargner tes jérémiades, tu n'es pas un enfant." La méchanceté, tu n'en as pas peur. C'est presque commun et tu ne vois pas pourquoi tu devrais t'en priver.

Il y avait les gens qui s’amusaient, qui socialisaient, qui riaient et parlaient de tout mais surtout de rien. Et puis il y avait les gens qui avaient osé venir ici sans être accompagné, et dont la situation ne s’était pas tout à fait améliorée. Parmi ceux-ci, accoudée au bar, Nova. Elle sirotait son gin tonic depuis une quinzaine de minutes quand, tout d’un coup, les lumières s’éteignirent au grand complet dans un bruit sourd d’électroniques qui s’essoufflent. « Eh bah manquait plus que ça. » Grommela-t-elle en fouillant dans son sac, à la recherche de son téléphone portable, pendant que les deux personnes à côté d’elle parlaient de l’attente, que ça reviendrait bientôt, ou que la tempête finirait bien par passer. Disons qu’elle n’avait pas envie de passer la nuit ici, et pourtant elle entendait déjà les agents de sécurité parler de verrouillage de portes et autres bêtises du genre. Au moment où elle mettait la main sur son portable, une jeune femme eut la même idée qu’elle, mais bien avant. Une blonde avait effectivement utilisé son téléphone comme lampe de poche, enjambant le comptoir du bar pour passer par-dessus. Elle proposa de vider les bouteilles, pour les remplir d’eau ensuite, ni vu ni connu. Un sourire se dessina sur les lèvres de Nova tandis que l’homme à côté d’elle réclamait plutôt de la nourriture. « Nourriture, alcool, moi j’prends tout. » Elle se leva d’ailleurs et alla rejoindre la blonde de l’autre côté du bar. Quitte à passer une soirée enfermés ici, autant s’amuser d’une manière ou d’une autre.

Les minutes passent à une allure irréelle, beaucoup trop lentement. Ta patience est mise à rude épreuve, tout comme ton goût pour la conversation et tu ne te demandes pas si affronter la tempête est plus agréable que de rester avec de parfaits inconnus. Ton regard détruit les visages à chaque fois que tu en croises un, tu poses ton verre vide sur une table qui ne t’appartient pas, puis dans un soupir, tu t’éloignes. Tu as tant de choses à faire et te voilà coincée dans un bar, tu penses aux actionnaires qui attendent tes réponses et à tes employés qui doivent se frotter les mains en se disant qu’ils ont leur soirée.

Tu attrapes ton téléphone, prête à envoyer un message à destination de ta secrétaire, mais la barre vide du réseau te nargue délicatement. Tu grognes et le ranges rageusement dans ta poche, jurant contre le karma qui ne veut pas te voir réussir. Et alors que tu penses ta situation au plus bas sur l’échelle de la malchance, une voix trop familière résonne douloureusement à tes oreilles. Tu as une soudaine envie de meurtre et ton attention se posa sur la silhouette de ta détective. Tu te demandes si elle ne te suit pas, si elle observe tes moindres faits et gestes dans le but de te pourrir tes journées. Tu ignores les deux autres personnes qui se rangent à son avis, tu n'as pas peur de te mettre la foule à dos.

« Pour qui tu te prends ? » Ta voix claque l’air comme un fouet contre la peau d’un criminel. Tu passes une main dans tes cheveux, organisant tes pensées avant de te diriger – d’un pas rageur- en direction du bar où elle se trouve. D’une main inquisitrice, tu t’empares de la bouteille qu’elle tient dans la main et la balance plus loin. « Je vous signale que nous sommes en situation de crise ! Vous pensez que boire va nous aider ? Allez vous bourrer la gueule dans un coin et retournez dans voss bacs à sable ! » Tu la fusilles du regard.

Tu sens que ton cœur palpite dans ta poitrine et tu viens porter une main vers elle, de peur qu’il ne cède sans prévenir. Tu n’as pas pris tes médicaments aujourd’hui, l’envie de dormir ne t’a pas tenté. Tu n’as plus le temps de discuter avec Morphée et de te balader toutes les nuits à ses côtés. Tu as de grands projets pour l’entreprise et ta vengeance n’a pas été assouvie. Eirlys semble t’échapper, tu ne sais pas par où commencer pour ruiner sa vie.

Penchée pour regarder dans les armoires, la blonde laissait son téléphone portable éclairer non seulement ses trouvailles, mais aussi son visage. Bordel, ce qu’elle était jolie. Les mains posées sur une bouteille de vodka, Nova laissait ses yeux glisser sur le corps de la jeune femme, profitant de l’obscurité pour se montrer aussi déplacée, et aussi peu subtile, aussi. La demoiselle se releva finalement pour envoyer valser un sac de cacahuètes vers l’homme qui avait visiblement davantage faim que soif. Pas Nova. Surtout pas dans de telles circonstances qui, bien vite, pourraient la rendre désagréable si elle ne buvait pas quelques gouttes – ou grosses gorgées – d’alcool. Finalement, la blonde s’adressa à elle, la qualifiant de charmante demoiselle et lui faisant un clin d’œil. Nova devint rouge comme une tomate, elle sentait ses joues s’enflammer tout d’un coup. Elle esquissa un sourire, laissa s’échapper un rire gêné d’entre ses lèvres, et détourna le regard en replaçant ses cheveux d’un seul côté, vers une seule épaule. Leur échange n’alla toutefois pas plus loin, Nova n’ayant même pas le temps d’en placer une, puisqu’une femme aux cheveux noirs comme l’ébène – et si elle parvenait à les voir ainsi malgré la noirceur, c’était parce qu’ils étaient vraiment noirs -, arriva en les traitant limite comme des gamins. Elle s’empara de la bouteille de la belle blonde et la projeta de l’autre côté du bar. « Well, things escalated quickly … » Releva-t-elle en haussant les sourcils. Nullement effrayée ou décontenancée par le comportement de cette femme, elle était toutefois un peu intriguée. La blonde prit la parole, elle connaissait son interlocutrice – Moïra -, et releva la dangerosité de son geste tout en lui proposant un petit calmant. « Et puis, qu’est-ce que tu voudrais qu’on fasse, de toute façon ? Au cas où t’aurais pas entendu, les portes sont verrouillées, la tempête rage dehors. C’est ici qu’on est le plus en sécurité. » Certes, l’alcool n’aiderait pas à les garder dans un état sécuritaire pour eux-mêmes, mais ça Nova s’en fichait bien. Au pire, elle irait s’asseoir dans un coin comme ça elle était certaine de ne trébucher sur personne. À l’aide de son téléphone portable qu’elle mit enfin à son tour en mode lampe de poche, la rouquine se sortit un verre et se versa de la vodka ainsi que différents jus pour rendre le cocktail un peu plus buvable.

Tu as clairement envie de commettre un meurtre et tu connais extrêmement bien le nom de celle qui doit périr sous tes coups. Vous jouez toutes les deux avec le feu et vous le savez, pourtant vous vous amusez à courir dans les flammes, sans penser à l'idée que l'une de vous peut périr consumer par toute cette rage. Tu sais que tu vas perdre parce qu'elle possède toujours cette indifférence qu'elle possédait déjà au lycée, or tu n'es plus la même victime que s'est laissée faire pendant des années.

Et voilà qu'elle relance les souvenirs de ton harcèlement et ta main te démange, tu as envie de la foutre dans sa sale figure de garce, mais tu as déjà perdu tes moyens devant de parfaits inconnus, tu dois rester calme. "La seule personne qui est la plus disposée à blesser quelqu'un c'est toi avec ton venin de garce, t'as pas grandi depuis le lycée? Toujours aussi stupide et inconsciente." craches -tu en te saisissant de la bouteille de whisky qu'elle te tend. Tu bois une grande rasade sans la moindre grimace et ta tête se tourne vers l'inconnue. "J'ai entendu je ne suis pas sourde." Tu la fusilles presque du regard et tu passes à ton tour par dessus le comptoir, poussant Eirlys dans ta démarche. Tu t'adresses toujours à la rousse avec un peu moins de hargne, elle n'est coupable de rien. "Mais si tu veux décompresser, t'approches pas de cette blonde, elle brise tout ce qu'elle touche."

Un haussement de sourcil et un regard plein de jugement se dessina sur le visage de Nova quand Moïra lui répondit sèchement qu’elle avait entendu, qu’elle n’était pas sourde. Elle était arrivée tel un ouragan, celle-là, et la rousse n’avait aucune idée de ce qui déclenchait une telle réaction à domino : la personnalité en elle-même de la femme, ou alors la belle blonde qui était encore à côté de Nova. « Oooook. » Répondit tout simplement Nova, d’un accord sarcastique qui soulignait la rudesse de son interlocutrice. En même temps, ça ne la dérangeait plus trop, Nova, de se faire répondre d’une telle manière. Elle savait qu’à force de tenir tête aux gens et de prendre son air faussement innocent, elle s’en prendrait plein la gueule à un moment. Moïra reprit la parole afin de parler de la blonde en faisant référence à l’époque du lycée. Ah, c’était donc ça. D’anciennes querelles de vestiaire des filles, un truc du genre. Nova tourna la tête vers la blonde quand cette dernière vola son verre afin d’arrêter ce massacre. Elle qui croyait plutôt bien s’en sortir, elle n’avait encore rien vu avec le cocktail que lui préparait la jeune femme. « Oh, eh bien, merci ! » Elle ne dit toujours pas son nom, même si c’était apparemment une honte de ne pas le savoir, ce qui avait d’ailleurs fait sourire Nova. Peut-être était-ce pour laisser planer un certain mystère sur cette fille qui se foutait allègrement au beau milieu d’une dispute qui datait des bancs d’école ? Moïra traversa finalement à son tour le comptoir du bar sans manquer de pousser la blonde sur son passage, et s’adressa à Nova. « En tout cas, elle a pas brisé mon verre, au contraire, elle lui a donné une touche de magie. » Dit-elle alors que ses lèvres venaient attraper la petite paille afin de boire une autre gorgée.