we'll build a kingdom just as far as the eyes can see (amelia)

Dans sa voiture, l'odeur des pots de peintures refermé à la va vite vient se mélanger à l'air chaud renvoyé par la voiture. C'est que dehors, la neige tombe abondamment. Il a promis aux enfants de ne pas rentrer trop tard afin de ne pas rester coincé loin d'eux. Mais il a une course à faire d'abord, le père. Il ramène du matériel à Amelia. Pour faire quoi ? Il n'a pas posé la question et n'est pas bien sûr d'avoir envie de le savoir de toute façon. Une nouvelle lubie qui ne lui sort d'il ne sait trop où, comme les autres. C'est aussi pour ça qu'il l'aime, sa soeur. Elle est pleine de surprises, de rires et d'inattendu. Elle est si loin de William et de son air coincé, de ses règles et de ses habitudes. C'est peut-être parce qu'il la sait si différente qu'il accepte de se plier à ses caprices. Il n'y a pas grand monde d'autre qui acceptait ce qu'il acceptait à l'époque de leur enfance. Combien de fois leurs parents les ont-ils retrouvés dans la chambre, elle couverte de peintures et de paillettes et lui maquillé à la gouache ? Et quand on lui demandait pourquoi se laisser faire, il n'avait qu'une seule réponse, la même. C'est son rôle de grand frère. Aujourd'hui, il a décidé de la surprendre elle aussi. Avant de se garer devant son immeuble, il est allé lui acheter un sachet de ses fruits préférés. Le sucre, mélangé à la peinture et l'air conditionné chaud, lui donnent quelque peu l'envie de vomir, c'est vrai. Mais il fait ça pour la bonne cause. Lorsqu'il arrive enfin devant la porte d'Amelia, le garçon ne prend pas même le temps de frapper, et entre. Il sait qu'elle ne ferme que rarement sa porte, au grand désespoir du plus adulte des deux. Il lui a déjà dit, qu'elle finirait pas se faire attaquer. Il faut croire que la brune est trop douce pour voir la laideur du monde. Elle, elle ne voit que ces monstres qu'elle créée dans ses rêves et fait vivre sur papier mâché. "Ames, c'est moi ! Je t'ai ramené des trucs, je te pose ça où ?" Il attend la réponse, seul dans le salon. Toujours aussi bien rangé, qu'il se dit, sourire au coin. C'est bien chez sa soeur, ça.

@Will Winslow WE'LL BUILD A KINGDOM JUST AS FAR AS THE EYES CAN SEE

La fenêtre de son atelier était entrouverte, elle en écarta les battants pour voir la voiture de son frère se garer dans la rue en face de sa petite maisonnée. Will, chanceux comme à chaque fois se dit-elle : à Harbourfront comme partout ailleurs, les places se faisaient rares et difficiles à obtenir. Raison pour laquelle elle n’avait jamais investie dans une petite automobile. La neige à l’extérieur tombait à foison, pourquoi Will avait-il fait l’effort de venir sous ce temps glacial ? Peut-être n’avait-il pas lu son message, celui-là même où elle lui proposait de passer le lendemain pour déposer son matériel puisque la météo indiquait un retour du soleil en début d'après-midi. Récupérant son téléphone dans la poche arrière de son jean, elle rechercha la trace de cet sms dans son historique de conversation. Elle constata que son message était effectivement composé mais toujours à l'état de brouillon. Appartenant à une génération d'individus familiarisée avec les nouvelles technologies, Amélia entrait dans une toute autre catégorie : les gens qui n'en n'ont rien à faire et qui ne font pas l’effort d'apprendre à s'en servir. Entre temps, Will avait déjà pénétré dans la maison. Elle abandonna son atelier, son océan de bordel à l'odeur de peinture fraîche et de colle industrielle pour descendre à toute hâte ses escaliers en colimaçon qui prenaient racine au cœur du salon. « Merde merde merde merde"  dit-elle en déboulant des escaliers. "Will, je suis vraiment désolée, je sais pas c’qui se passe avec ce foutu téléphone. Regarde, pour te prouver ma bonne foi". Amélia brandissait son téléphone devant les yeux de son frangin, son écran n'affichait non pas le brouillon de son sms de la veille mais une page internet sur laquelle était affichée des résultats de google images avec des photos de la diva Plavalaguna du Cinquième Element. Les pointes des cheveux d'Amélia avaient baigné pour la plupart dans de la peinture bleu électrique, sa chemise autrefois blanche était parsemée de tâches d'acrylique. "Je suis vraiment la reine des nuls au royaume des milléniaux. Je voulais te dire de rester chez toi, avec cette neige incroyable là-dehors, tu pouvais venir demain. " Elle se débarrassa tout de suite de son téléphone  en le balançant sur le canapé. "Tu peux poser ça là, je m'en occupe plus tard, merci un million cinq-cent-mille fois, j'ai hâte de fouiner là-dedans. Tu veux quelque chose à boire ? Un truc à manger ? " Speed, speed, speeeed comme d'habitude, Amelia était déjà en route pour la cuisine avec la ferme intention de servir quelque chose à boire à son grand frère préféré.

Will est rapidement attaqué par la tornade Amelia, pour son plus grand bonheur. Elle a toujours été de ceux qui le rendait inconditionnellement heureux, la jeune femme. Un arc-en-ciel de couleurs et de joie qui venait lui chatouiller les fossettes et lui réchauffait le coeur. Il n'a pas le temps de reprendre la parole que l'elfe qui lui fait face se met à déblatérer sur son téléphone. C'est qu'elle parle vite, Amelia. Elle fait tout vite, elle a toujours tout fait rapidement. Il la fixe, essaye de bien tout suivre de ce qu'elle lui raconte. Et ce n'est pas toujours facile quand on a pour soeur le diable de Tasmanie. En effet, il n'a reçu aucun message de la part de la jeune femme. Quoi qu'il ne s'en soit pas vraiment formalisé, en vrai. Aucun des deux n'a jamais été très doués avec tout ce qui touche de près ou de loin la technologie. Ça à même fait rire Aspen, lors de votre dernière rencontre, cette incapacité à se débrouiller tout seul avec ces foutus appareils. Quand Amelia ne répond pas, Will s'imagine qu'elle travaille sur une nouvelle oeuvre, un nouveau maquillage. Qu'elle est trop heureuse dans son coin pour accorde le moindre regard au monde extérieur. Will aime cette insouciance qui la protège des conneries des autres. Même si parfois, il rêve de la voir enfin bien avec quelqu'un, quelqu'un qui saurait la suivre elle et son énergie débordante. Mais en même temps, il n'ose pas crever cette bulle d'innocence dans laquelle elle vie. "Pas de panique Amelia, tu sais que je viendrais même si la terre arrêtait de tourner." Il pose un regard tendre sur sa petite soeur. Il a aimé être son grand frère dès les premières minutes de sa petite existence. Une minuscule chose rose au sourire éclatant. Il la regarde courir dans la cuisine et soupir, un sourire aux lèvres. Il dépose ses cadeaux et attrape le sachet de fruits, la suivant dans l'autre pièce. "Tiens, c'est pour toi. Je n'étais pas sûr que tu sois sorti chercher de quoi manger, petite tête." Il rigole, avant de venir attraper une des mèches bleutées de sa soeur. "Tu m'expliques ?" Un sourcil haussé, un regard inquisiteur, et une curiosité sans faille. C'est qu'elle l'a toujours fasciné, elle et ses créations. Il est fier de ce qu'elle sait faire, la petite. Impressionné, même, par cette imagination débordante. Il se demande parfois comment elle fait pour avoir encore de l'énergie après une séance de création. C'est qu'elle est née pour ça, il le sait. Il l'a toujours su.