the sun rises at midnight (river)

Minuit trente.
Pour River, cette heure semblait être raisonnable - ni trop laxiste, ni trop restrictive. Il ne voulait pas que sa fille de dix-sept ans se balade seule dans les rues de la ville en pleine nuit et il n'était pas question qu'à son âge elle ait une totale liberté au point de choisir ses heures de sorties. Il autorisait déjà beaucoup de choses, bien plus que la plupart de ses collègues qui mettaient des limites au point d’enchaîner leurs enfants; ce qui les poussait bien souvent à faire plus de conneries que ce qu'ils avaient prévus normalement. Lui, il n'était pas comme ça. Il voulait que sa fille vive, qu'elle profite de sa jeunesse et qu'elle s'amuse, tout en ayant un certain contrôle, puisque c'était encore son rôle. Et jusqu'à aujourd'hui, Gaïa ne l'avait jamais déçue. Bonne élève, elle ramenait toujours d'excellentes notes. Assidue et soucieuse de bien faire, elle rentrait toujours à l'heure et ne lui faisait jamais remettre sa confiance en doute. Du moins, jusqu'à cette fameuse soirée.

L'heure autorisée était déjà bien dépassée. Non pas qu'il se la jouait colonel de l'horloge, mais River ne dormait jamais lorsque sa fille n'était pas à la maison. Il ne trouvait le sommeil que lorsqu'elle franchissait le pas de la porte. Évidemment, il ne le dirait jamais. Il ne voulait pas que sa fille s'imagine qu'elle était sous surveillance -car ce n'était pas le cas. Il se comportait simplement comme un père, inquiet à chaque minute de son existence et cela ne changerait certainement jamais. Bien qu'en grandissant sa fille gagnait en responsabilité et en indépendance, elle resterait son bébé, sa petite fille, qu'importe son âge. Mais ce soir, sa petite fille lui causait bien des soucis.

L'inquiétude commença à se joindre à l'attente. Cela devenait trop long. Trente minutes de retard passaient encore, mais cela commençait à faire beaucoup trop. Inquiétude. Agacement. Énervement. River passait un peu par tous les sentiments et c'est lorsqu'il récupéra son portable pour joindre sa fille qu'il entendit le bruit de clé dans la serrure. Un soupire de soulagement quitta ses lèvres alors qu'il se redressa sur le canapé au moment où sa fille entra dans la pièce. « Je te retourne les faits. » Car oui, être à ce point en retard, le faire attendre ainsi, cela causait une sacrée trouille. « Vraiment ? Je suis curieux d'entendre ton excuse... » Glissa-t-il en conservant malgré tout un calme relatif. « J'espère vraiment que tu as une très bonne explication parce que j'ai eu le temps de faire une liste longue comme mon bras de toutes les privations que tu risque de subir durant ces deux prochaines semaines. » Et encore, il était gentil...

Qu'il ait connu ça ou non, ce n'était pas le sujet. River n'avait pas l'intention d'entrer dans un long débat sur ce qu'il avait pu faire dans son adolescence et faire une comparaison avec ce que sa fille faisait. D'autant qu'elle risquerait peut-être d'être déçue. Sans être un parfait enfant de chœur, River n'avait jamais fait de grosses conneries et bien trop soucieux de ne pas faire de tort à sa mère, il ne s'était jamais mit en tête de remettre en cause son autorité - d'autant qu'elle ne l'était tant que cela, du moment qu'il respectait les règles et se montrait raisonnable. Il appliquait finalement la même éducation à Gaïa, et elle devrait sans doute le savoir puisque sa grand-mère lui partageait pas mal de souvenirs de River lorsqu'il était enfant et adolescent, au grand désespoir du jeune homme.

Néanmoins, il ne s'attendait pas à ce que sa fille se mette à crier en utilisant de tels mots. Il resta interdit quelques secondes, prenant sur lui pour ne pas perdre son calme. « Un conseil: fais attention à la manière dont tu me parle, Gaïa. Parce que de deux semaines, tu viens de passer à un mois. » Lâcha-t-il un peu plus fermement. Il n'appréciait définitivement pas qu'elle se montre aussi insolente alors qu'elle ne l'avait jamais fait auparavant. Et il n'était pas question que cela devienne une habitude, il ne le tolérerait pas. « Parce que si tu veux que je sois un père chiant et hyper autoritaire, continue. Et je peux déjà te dire qu'en plus d'être privé de sorties, tu pourras dire adieu à ton portable, à ton pc, aux tablettes et je n'hésiterai pas à te déposer tous les matins au lycée et venir te récupérer tous les soirs afin que tu n'ai plus une seule seconde de distraction. » Argumenta-t-il en soutenant son regard. River était un père cool, bien plus que beaucoup d'autres, mais s'il fallait en passer par là pour tuer la rébellion directement, il le ferait.

« Alors tu baisse d'un ton et tu change d'attitude. Quand je te donne une heure, tu respecte l'horaire. Et encore plus quand tu me dis juste avant que j'ai raison de te faire confiance. » ajouta le jeune homme en croisant les bras. Il détestait vraiment être un père moralisateur, préférant vraiment les moments où ils s'amusent tous les deux. Mais il ne pouvait pas mettre de côté son rôle de père, que ce soit difficile ou non.

Bon sang, mais que se passait-il exactement ? River n'y comprenait plus rien. Loin d'être un père tyrannique, il avait toujours été cool et avait toujours fait en sorte que sa fille se sente bien et libre. Et aujourd'hui, elle lui donnait l'impression d'être le pire père du monde, allant même jusqu'à faire une comparaison douteuse avec le nouveau compagnon de sa mère. Le presque quarantenaire n'avait pourtant rien en commun avec cet homme: il n'imposait pas son autorité par la force et n'irait jamais s'octroyer le droit de faire la morale à un enfant qui n'est pas le sien. Il n'avait d'ailleurs pas toléré qu'il le fasse avec Gaïa. Elle était sa fille, il restait son père et aucun autre homme n'aurait jamais le droit de se prendre pour lui et jouer son rôle. Elle était son sang, la prunelle de ses yeux, il veillerait toujours sur elle, qu'importe la situation. "Mais qui t'a dit que je voulais t’enchaîner ici à vie, Gaïa ?" Demanda-t-il, excédé. À croire qu'elle ne le connaissait plus, qu'elle ne savait plus qui se trouvait face à elle. River avait presque envie de la prendre par les épaules et la secouer pour qu'elle réalise un peu ce qu'elle était en train de faire. Cette soirée n'était décidément pas la meilleure qu'ils aient connu.

Elle glissa son portable vers lui, lâchant à nouveau une remarque acerbe. Une remarque qui blessa le jeune père plus que de raison. Jamais il ne s'était immiscer dans la vie privée de sa gamine, jamais. Il n'avait jamais lu une seule page d'un possible journal intime, n'avait jamais lu le moindre message qu'elle avait reçu, la moindre lettre, le moindre mail. Il avait toujours tenu à ce qu'elle ait son jardin secret - tant que rien ne le laissait croire qu'elle risquait quelque chose. Et voilà qu'aujourd'hui, il passait pour un espion doublé d'un tyran. Ça allait de mal en pire. "C'est vrai que je passe mon temps à fouiller tes affaires." Ironisa le jeune homme en secouant la tête. Ce n'est pas maintenant qu'il commencera à faire une chose pareille. Cela commençait sérieusement à le rendre dingue. "Ne rejette certainement pas la faute sur moi. Tu serais au lit depuis longtemps si t'avais respecté l'heure que je t'avais donné." Le monde à l'envers… Ouais, ça devait être ça. Le monde ne tournait plus rond depuis quelques heures.

Un soupire d'exaspération quitta ses lèvres et son regard se posa sur le verre qui venait de finir sa course sur le sol, en morceaux. Il s'approcha pour ramasser, mais sa fille le devança. "Non, ne touche p-…" Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que ce qu'il craignait fini par se produire. Un morceau de verre vint se loger dans la paume de sa main. Il se précipita pour prendre une serviette proche et vint se mettre à la hauteur de sa fille pour prendre sa main. Il s'assura rapidement que le morceau de verre n'était pas planté dedans avant de faire pression sur la blessure avec la serviette. "Ça va ?" Demanda-t-il, assez inquiet malgré l'habitude à cause de sa maladie.