in my blood (Isaac)

L'odeur de beurre fondu vient s'installer dans la cuisine éclairée par un doux soleil d'hiver. Si dehors le froid fouette les vitres, l'astre vient réchauffer le peu de peau que Will laisse dépasser de son sweat. La journée s'annonce belle, sans nuage aucun. Hayley dort encore et Lys est parti chez sa mère. Il n'y a qu'Isaac qui arpente la maison, faisant craquer ça et là une planche du parquet. Son père l'entend errer dans le couloir, visiter la salle de bain, retourner à sa chambre. C'est qu'il connait le moindre bruit que fait la maison, Will. Comme s'il l'avait construit lui même, qu'il aime plaisanter quand sa fille lui demande comment il fait. Un sourire absent s'affiche sur son visage alors qu'il repense au regard impressionné de sa fille. Cela fait longtemps qu'il n'a plus impressionné Isaac comme cela, ni même Lys. L'adolescence est une période ingrate pour les parents aussi. Et Will est seul pour gérer les hormones, les humeurs et les décisions. Un nouveau soupir alors qu'une nouvelle odeur, inattendue, vient lui chatouiller les narines. "Merde." qu'il a le temps de murmurer avant que ses mains n'attrapent la poêle noircie par la matière grasse abandonnée à son triste sort. "Merde merde merde !". Il la laisse tomber dans l'évier, essaie de faire partir l'affreuse tâche noire, en vain. Tant pis pour son petit déjeuner, pense-t-il. Il fera à la petite un bol de céréales, peut-être avec un fruit. La tête ailleurs, il l'a souvent ces derniers temps. Il pense au travail, il pense à la maison. Il pense à ce rendez-vous qu'il a eu avec une femme. Une catastrophe, le mot est faible. À quoi pensait-il en acceptant de rencontrer une enfant, pas même trente-ans, jouant au charmeur de ses dames ? Il n'a jamais été bien doué le garçon. Il est tombé sur l'amour toujours pas hasard, et en est toujours ressorti les genoux pleins de bleus. Il se sent con d'avoir encore sur son téléphone cette application qui l'obsède depuis quelques semaines. Peut-on seulement prétendre rencontrer quelqu'un à travers un écran ? Il est incapable de se l'imaginer. Pas à quarante ans, des gamins pleins les poches et des souvenirs pleins la tête. Pas avec sa gueule et son charme à deux balles. Et surement pas avec ses talents culinaires. Il râle, jette la poêle, note d'en racheter une sur l'un des post-it qui trainent inlassablement sur le comptoir de sa cuisine. Le bazar autour est un bazar organisé. C'est sa façon d'être. Les bruits de pas qui s'approchent lui font relever la tête, sourire. "C'est que tu te lèves tôt toi, tu serais pas devenu un adulte ?" Devant lui, Isaac. Le garçon devenu homme. Ça lui fait toujours quelque chose, à Will, de voir son fils si grand. Si on lui avait dit qu'il aurait un fils, non, deux; et une fille. Une fierté personnelle qui lui fait parfois tourner la tête. "Je te préparerais bien quelque chose, mais c'est à tes risques et périls." Il s'approche, passe la main dans ses cheveux, tendre, comme lorsqu'il était enfant. "Bien dormi ?"

Isaac n'était pas du genre à prendre son petit dejeuner en famille surtout quand son petit frère n'était pas là. Mais aujourd'hui, il voulait voir son père. Lui parler? Certainement pas. Isaac n'était pas prêt à dire quoi que ce soit à tout le monde. Il s'était encore battu hier soir et son visage était encore un peu douloureux ce matin. Cependant, il se leva et il alla à la douche, profitant du fait que la salle de bain soit libre. Il détendit ses muscles sous l'eau chaude et tenta de cacher la douleur du coup reçu au visage. Heureusement il n'y avait pas de marque, encore. Il finit de se doucher et de s'habiller. C'était bien la première fois qu'il se levait tôt mais il n'avait pas trop le choix. Il devait passer à la bibliothèque pour réviser ses examens. Puis après il allait travailler la matinée. C'était toujours comme ça pour pouvoir gérer son travail et ses cours.

Il descendit enfin dans la cuisine où il y avait son père. Il ne faisait pas trop de bruit pour ne pas réveiller sa petite soeur. La scène qui se déroulait dans la cuisine amusa Isaac. Voir son père tenter de cuisiner était très drôle. Mais il ne fit aucune commentaire pour ne pas éveiller la susceptibilité de son père. " Je travaille mais avant je dois aller réviser..." grogna Isaac en guise de bonjour. Son père plaisanta sur sa cuisine mais fort heureusement Isaac n'avait pas faim. Il lui demanda même s'il avait bien dormi, comme avant. " Oui oui... comme d'habitude..." répliqua le plus jeune, qui n'avait pas envie que son père découvre le coup sur son visage. Comme il n'avait pas envie qu'il découvre plein de choses. Isaac tenait à son jardin secret. "Je pense que quand j'aurais assez d'argent, je louerais un studio..." Pour encore plus cacher ce qu'il avait à caché. Pour encore plus se renfermer sur lui même comme il avait l'habitude de faire. Pour plein de choses comme ça. [/color]

Le regard de Will se pose sur le jeune homme descendant les escaliers, un sourire aux lèvres. Son fils, pourtant pas matinal, lui fait l'honneur de sa présence. Il a beau ne rien dire, Will, il voit le stress de son fils l'éteindre depuis quelques semaines. Du moins, il pense que c'est le stress. Qu'est-ce que ça pourrait être d'autre, après tout ? Son fils est heureux, non ? Même s'il a été étonné de ne plus le savoir avec Gemma, Will ne s'est pas posé plus de questions su le comportement du garçon. Après tout, il n'a pas fait d'études lui. Il ne sait pas ce que c'est que la pression des examens. Alors il se contente de deviner, pour ne pas passer pour un idiot. Il n'est pas fier de son parcours, l'adulte. Il rêve de mieux pour ses enfants que de passer la journée sur des chantiers à se pourrir la santé. "T'es sûr que tu ne peux pas appeler pour prendre un jour de congé ? Tu m'as l'air fatigué avec toutes ses révisions.." Il s'inquiète un peu, le père. Mais il ne le dit pas, de peur de voir Isaac se fermer, encore. C'est que le garçon n'a pas été toujours facile à gérer. Un adolescent en colère que Will avait mis sur le dos du départ de Jill, puis d'Harper. Un enfant abandonné deux fois par des figures maternelles, et qui avait rit en voyant la 3e partir, elle aussi. Will l'a laissé être en colère. Il regretterait presque, maintenant. "Tu sais, si c'est une histoire d'argent, je peux t'aider..." Si les débuts avaient été difficile, Will gagne désormais bien sa vie. L'entreprise roule, lui laissant plus de temps pour sa famille. Toutes ses années à travailler les week-ends, à ne pas prendre de vacances, ont enfin payés. Son garçon reste distant, ne le regarde pas. Will sent que quelque chose ne va pas. Il ouvre la bouche, prêt à poser la question, quand d'un coup Isaac lui annonce la nouvelle. Il veut partir, prendre son envol. Ça lui fait un coup, au père. Il a toujours appréhendé ce moment, paniqué à l'idée de ne plus pouvoir protéger ces enfants. Mais Isaac grandit, devient un homme. Il est temps de l'accepter. "Tu es sûr ?" Il ne peut pas s'en empêcher, Will. "Je veux dire... Tu es bien ici, non ?" Il a du mal à décrocher. Il s'avance vers son fils, essaye de capter son regard. "Quelque chose ne va pas ? C'est... de ma faute ?"